23 janvier 2013

Etablissements scolaires et premiers clubs – 1890-1899


Depuis le décret du 3 février 1869, la gymnastique (qui prendra plus tard l’appellation d’éducation physique) est une des disciplines scolaires d'enseignement obligatoire dans le secondaire. Estimant que ce décret est trop peu appliqué, Jules Ferry rappelle par la loi George du 27 janvier 1880, quelle est obligatoire dans tous les établissements d'instruction publique de garçons. L'obligation est étendue par la circulaire du 20 mai de la même année à tous les types d'enseignement, primaire et secondaire, pour les garçons et les filles. La tendance est à l’éducation à l’anglaise et c’est en soi une petite révolution dans cette France de fin de siècle, qui a si fortement organisé la scolarité intellectuelle de ses fils et n’a pas encore réussi à fonder solidement leur discipline corporelle. Le proviseur du Lycée Janson-de-Sailly, M. Poirier, dira plus tard avec un peu de recul sur le sujet, « depuis l’introduction du sport dans le monde scolaire, les mauvais élèves ne sont pas devenus pires et je crois bien d’autre part que les bons sont devenus meilleurs »[i]. Pratiquer la gymnastique, certes, mais sous quelle forme ? La question est encore ouverte : certains établissements scolaires se contentent de laisser leurs élèves se divertir en liberté là où d’autres font pratiquer l’équitation, le canot, la course à pied, le criquet, le football, etc.[ii]

Soucieux de répondre à un réel besoin et de proposer un panel de solutions, l’auteur Gaston Bonnefont publie en 1888 un ouvrage intitulé Les jeux et les récréations de la jeunesse [iii], dans lequel il dresse un inventaire des possibilités. Le journaliste de l’hebdomadaire La Gymnastique fait à son sujet le commentaire suivant dans la rubrique bibliographique[iv] : « Un livre tout à fait d’actualité étant donné l’intérêt qui s’attache depuis quelque temps à tout ce qui concerne l’activité physique de la jeunesse. L’auteur […] est moins heureux quand il aborde les exercices en plein air, principalement ceux qui nous viennent d’Outre-Manche, et nous pourrions signaler maintes erreurs qui se sont glissées dans la description et la manière de jouer le lawn-tennis, le cricket et de courir les rallie-papiers. Nous constatons toutefois avec plaisir que partout où M. Bonnefon[t] a rencontré sous sa plume des jeux anglais, il a eu le bon sens de leur donner leur nom propre, ne voulant pas suivre les errements de certains auteurs qui, par snobisme, veulent que le foot-ball ne soit autre que la barette, le base-ball ou rounders, la grande thèque et le lawn-tennis, la paume de jardin tout en copiant servilement pour ces jeux français les règlements des jeux anglais ». Nous retrouvons une démarche identique mais empreinte de ce fameux snobisme dans l’ouvrage de Georges de Saint-Clair réédité l’année suivante sous le nom Sports athlétiques, jeux et exercices en plein air[v] et dans lequel nous pouvons lire que les Anglais ont fait du jeu français de la balle au camp, le cricket, et les Américains, le baseball. Nous voyons ici la confirmation que, dès avant 1889, le baseball est très nettement identifié en France non pas simplement comme un loisir mais comme une véritable activité sportive. Par la suite, il s’agira d’en étudier de près les qualités et les valeurs. Ainsi pouvons-nous lire, par exemple, dans le Figaro en 1891[vi] : « Le base ball est au premier chef le jeu national des Américains ; dans les collèges, à Harvard, à Yale, on attache une importance de premier ordre à posséder un excellent team (attelage) de base ball ; c’est un trait par lesquels un établissement d’éducation se recommande le mieux aux familles. Tous les ans de nombreux concours, auxquels on se prépare au moyen d’un entraînement constant, viennent mettre à l’épreuve l’habileté des jeunes Américains dans ce genre de sport, et la nation entière témoigne de l’énorme intérêt qu’elle y prend ».


D’après les travaux effectués par Patrick Tugault[vii], les principaux clubs sportifs des grands établissements scolaires parisiens se dotent, à cette période, de section de baseball. Certains d’entre eux font probablement déjà pratiquer la thèque ou la balle au camp à leurs élèves, ce qui facilite l’adoption du nouveau sport mais cette confusion lexicale ne permet pas de déterminer de manière assurée quel est le sport pratiqué. Il semblerait que l’Association Athlétique du Lycée Janson-de-Sailly soit la première à proposer la pratique du baseball, ou plus probablement dune forme de thèque (1890). Les enseignants, profitant de la proximité du Bois de Boulogne, envoient régulièrement leurs élèves s’exercer sur une pelouse concédée par la ville[viii]. Janson-de-Sailly est suivi en 1891 de l’Association Athlétique Alsacienne, club de l'École Alsacienne dont le directeur fait partie du Comité des exercices physiques et envoie ses élèves plusieurs fois par semaine dans le jardin du Luxembourg. Que ce soit dans le Bois ou au Luxembourg, nous pouvons aisément imaginer qu’il leur arrive de croiser les membres de l’American Art Association. Puis viennent, la même année, l’Association Sportive du Lycée Louis-le-Grand, l’Association Athlétique du Lycée Hoche et la Société Sportive du Lycée Saint-Louis. Les élèves de ce dernier pratiquent, quant à eux, le jeudi dans le parc de Meudon. En 1892, c’est au tour du club du Lycée Lakanal, le Sport Athlétique (en abrégé SALL), de joindre le mouvement. Le SALL est assez caractéristique de ces associations, à l’origine exclusivement destinées à accueillir des activités d’athlétisme et qui s’ouvrent peu à peu aux activités athlétiques au sens large ; il est fondé par un jeune et très dynamique élève, François-Etienne Obus[ix], dit Frantz, Reichel, champion de France interscolaire en 1890 et 1892 de 110 mètres haies et de cross-country, deux fois recordman de France de l'heure en course à pied avec 16,5 km puis 16,611 km, qui sera capitaine de la première équipe de Rugby à traverser la Manche l’année suivante. L’Association Sportive du tout nouveau Lycée Arago dans le douzième arrondissement de Paris s’y met quant à elle en 1897.
Frantz Reichel
En banlieue comme en province, un mouvement similaire peut être constaté avec par exemple la création en 1890 de lUnion Athlétique du Collège de Dunkerque, de lAssociation Sportive des Elèves du Lycée de Chartres, de lUnion Sportive du Lycée dOrléans, en 1892 celle du Cercle Pédestre dAsnières, en 1898 celle de lAvant Garde de l’Ecole d’Agriculture de Rethel.

Les jeunes des lycées entraînent bientôt dans leur sillage l’International Athletic Club, le Stade Français, le Paris Star puis le Racing Club de France, respectivement en 1892, 1893, 1896 et 1897. Bien évidemment, les clubs parisiens anglo-saxons ne sont pas en reste : citons ainsi à titre d’exemple l’Anglo-American Athletic Club[x] et l’Anglo-Saxon School Athletic Club, qui montent une section baseball en 1897 et 1898.

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[i] « La Culture physique : revue bi-mensuelle illustrée », 15 janvier 1909, p. 41.
[ii] « L’éducation de nos fils », Dr Jules Rochard, Librairie Hachette, 1890, p. 12 et 13.
[iii] « Les jeux et les récréations de la jeunesse », Gaston Bonnefon, Librairie Maurice Dreyfous, 1888.
[iv] Cf. Bibliographie, in La Gymnastique, 27 janvier 1889, p. 23.
[v] « Sports athlétiques, jeux et exercices en plein air », Georges de Saint-Clair, éd. P. Arnould, 1 ère édition 1887.
[vi] « La vie américaine », Paul de Rousiers in Le Figaro, Supplément littéraire du dimanche, 19 décembre 1891, p. 208.
[vii] Patrick Tugault successivement Vice-président de 1976 à 1979, Secrétaire Général de 1980 à 1981, Président de 1981 à 1987, puis Président d’Honneur de la Fédération Française de Baseball Softball.
[viii] « L’éducation de nos fils », op. cit. p. 47.
[ix] La légende prétend qu’il doit ce prénom au fait qu’à sa naissance, le 16 mars 1871, le premier obus tiré par les Versaillais tomba sur la Commune de Paris.
[x] Ce club est présidé par M. R. Cardwell et a son siège au 6 avenue Montespan, à Paris.

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