2 janvier 2013

La communauté Américaine de France - L'American Art Association

Depuis la fin de la guerre de sécession et surtout depuis l’épisode de la Commune de Paris (1871), la France exerce un extraordinaire pouvoir magnétique et particulièrement sur tout de ce que les Etats-Unis comptent d’artistes et de nantis. Avec sa propre cathédrale (construite à partir de 1881 et inaugurée en 1886), puis plus tard son hôpital (1906) et sa bibliothèque (1920), la colonie Américaine de Paris comptera jusqu'à 100.000 personnes et sera à ce titre l’une des plus importantes communautés d’immigrés. Le Paris de la Belle Epoque représente aux yeux des Américains une sorte de Mecque, où la vie mondaine est brillante, où les barrières sociales sont plus facilement levées, et où il est possible de jouir pleinement de la paix et de la liberté. Paris est même pour certains plus américaine que New York[i]. Cette attraction sera globalement très forte jusqu’à l’éclatement de la première guerre mondiale et se poursuivra bien après, notamment en raison de la prohibition, permettant à la France de s’initier entre autres au cinéma américain et au jazz.


Le cas de Douglas Tilden, l’auteur du Baseball Player évoqué plus tôt, n’est en aucun cas isolé : les sculpteurs, graveurs et peintres sont véritablement légion dans les écoles (Beaux-Arts), académies (notamment Julian) et autres ateliers privés parisiens (Colarossi). Ce phénomène, littéralement qualifié d’exode[ii] du côté Américain où l’on organise même des conférences pour chercher à l’enrayer[iii], fait naître une forte et dynamique communauté de ce côté-ci de l’océan.

« Il y a trop d’étudiants en art à Paris actuellement, des centaines qui peinent à vivre et dont la plupart s’épanouiraient bien plus dans le commerce au pays. […] Un centre pour eux, établi dans Paris, les aiderait grandement, et le placer aussi loin que possible du Quartier Latin et de la Tour Eiffel ne serait pas une mauvaise idée. Les traditions du Quartier Latin sont variées. Toutes ne sont pas glorieuses. » [iv]
 
Une classe de l'académie Julian en 1890

En mai 1890, pas moins de 1.500 Américains étudiants en art de Paris décident de s’organiser et fondent au 74 rue Notre-Dame des Champs[v] l’American Art Association of Paris, en abrégé l’AAA, dont l’objectif est, d’une part, d’offrir aux jeunes membres de la communauté un lieu dédié à la culture Américaine, à la confraternité et au secours mutuel[vi], d’autre part, « d’amener le gouvernement des Etats-Unis à fonder une école de Paris qui deviendrait pour les artistes Américains ce qu’est l’Ecole de Rome pour les Français [… et] faire de Paris le centre unique et incontesté de l’art pour les deux mondes »[vii]. Rapidement, elle s’ouvre également aux étudiants des principales professions libérales. L’AAA tient une assemblée formelle deux fois par an en mai et en octobre, mais les activités offertes sont quasi permanentes tout au long de l’année, avec notamment expositions, banquets, bals, kermesses, « tableaux vivants »[viii], lecture, concerts, célébrations de la fête nationale du 4 juillet et de Thanksgiving au cours desquelles sont invités des sommités[ix] comme le peintre Benjamin-Constant ou le sculpteur Bartholdi, auteur notamment de la célèbre Statue de la Liberté offerte solennellement par la France aux Etats-Unis en 1880[x].

Bien entendu, l’AAA propose aussi des activités sportives et, cela va de soi, la pratique du baseball. Ainsi, chaque année à l’occasion de la célébration de l’indépendance, la colonie Américaine se réunit dans le Bois de Boulogne pour y assister à des matchs, initiant au passage les Parisiens[xi]. « On voit » pouvons-nous ainsi lire dans un article[xii] « que le Base-ball a une lointaine analogie avec le cricket et l’on s’explique qu’un tel jeu par la variété des qualités qu’il requiert concoure au développement général. Il est bien naturel qu’un pays qui se pique d’être pratique ait fait son jeu national du Base-ball, dont la réputation de jeu clair, honnête et sain fut consacré par l’enthousiasme populaire ».

Ne commettons toutefois pas l’erreur de croire que c’est l’AAA qui répand le baseball à partir de 1890. En réalité, elle ne fait qu’encadrer la pratique entre ses membres. Il nous paraît absolument évident que ces milliers de jeunes étudiants en art qui séjournent à Paris mais sont en relation permanente avec les grandes villes de la côte est des Etats-Unis, et de ce fait parfaitement en phase avec leurs concitoyens d’outre-Atlantique, n’ont nullement eu besoin d’un quelconque cadre pour jouer en toute liberté et improviser des matchs dans le jardin du Luxembourg ou le Bois de Boulogne bien avant 1889.

S’équiper en matériel de jeu n’est pas davantage un obstacle car il leur est possible de trouver à Paris tout le nécessaire auprès des établissements Williams and Co., au 1 de la rue Caumartin[xiii].

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[i] « Rich And Free, Lonely Climbers From Maine And California Get Into Society Via Paris », in The Sun, 7 septembre 1913, p. 15.
[ii] « To Keep Art Students Home », in The New York Times, 28 septembre 1900.
[iii] Ainsi celle organisée le 27 novembre 1900 par la Pennsylvania Academy of the Fine Arts. Cf. Providence News, 30 novembre 1900.
[iv] « Art Students In Paris », in The New York Times, 25 mai 1908.
[v] L’AAA déménagera en 1897 au 2 impasse de Conti.
[vi] Pour être admis, il faut être citoyen Américain, coopté par deux membres, et accepté par le Comité des élections. Cf. « The Art Association of Paris », Edmund Henry Wuerpel, 1894, Times Printing Press.
[vii] La semaine des familles, 26 mai 1894, p. 120.
[viii] « Une soirée artistique », in Le Figaro, 17 avril 1901.
[ix] Bartholdi est également l’auteur en 1876 de la statue du Marquis de Lafayette qui se trouve actuellement dans Union Square, à New York City, et en 1878, de la fontaine de l’United States Botanic Garden à Washington DC.
[x] Le Figaro, 4 juillet 1897, p. 3.
[xi] « Fourth Of July Baseball In Paris », in The Washington Times, 4 juillet 1901.
[xii] « A travers les revues », in Ma Revue, 22 septembre 1907, p. 24.
[xiii] Voir la publicité qui paraît dans les tous premiers numéros de la revue Les Sports Athlétiques dès 1890 (ex. p. 1 du n°28 du 11 octobre 1890).

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