6 février 2013

Paris contre Boston


Singulière annonce que celle qui peut être lue dans le journal californien The Herald[i] en ce mois de septembre 1896 : Les équipes damateurs des Ville de Paris et Boston s’apprêtent à s’affronter en un match de baseball. Par Boston, comprenez Boston Store, qui est en fait un des grands magasins de San Francisco au même titre que le Ville de Paris, dont l’équipe est composée de Barry, Etchebaum, Simmons (capitaine), Besselmann, Farrel, Lombard, Koster, Milback et Valdez. A priori, à en juger par les patronymes, peu ou pas de Français parmi ces hommes, et pourtant, c’est bien sous les couleurs d’une famille française que cette équipe joue.

En 1848, suite à la révolution de février, le roi Louis-Philippe a été contraint d’abdiquer, la IIème République a été proclamée et Louis-Napoléon Bonaparte a été élu Président de la République à la toute fin de l’année. La diffusion grâce au télégraphe de l’information selon laquelle de l’or avait été découvert en Californie et la ruée qu’elle a suscitée en 1849 a fourni à quelques Français à l’esprit aventureux ou désireux de fuir une certaine forme de répression[ii] un excellent prétexte pour échapper aux bouleversements politiques nationaux. Parmi ceux-ci figurait le Nîmois Félix Verdier, qui, plutôt que de s’armer d’une pelle et d’une pioche, eut la brillante idée d’emporter avec lui des caisses de champagne, de cognac et des articles de soie dans l’espoir de faire commerce. Son premier voyage fut un tel succès quil vendit toute sa marchandise avant même davoir mis pied à terre. Si bien qu’il retourna immédiatement en France pour se procurer davantage de marchandises, revint dès qu’il pût à San Francisco avec son frère Emile et y fonda en 1851 un magasin à l’angle sud-est des rues Sutter et Kearny, auquel il donna le nom du navire à bord duquel il avait effectué ces voyages : La Ville de Paris.

Le City of Paris reconstruit après le séisme de 1906
En 1890, Gaston Verdier, fils de Félix, prit les rênes de cette société florissante, en déménagea le siège sur Union Square, à l’angle des rues Greary et Grant, en changea le nom pour adopter celui de City of Paris Dry Goods Company et lui donna comme slogan « Fluctuat Nec Mergitur ». Ce grand magasin avec ses différentes annexes[iii] constitua dès sa création une référence de raffinement et de luxe pour tous les habitants de San Francisco et Félix Verdier devint un modèle pour les membres de la communauté française de Californie[iv], les Keskydeez et les Parleyvoo comme les appelaient les Américains. Ils furent bientôt si nombreux qu’ils occupèrent un quartier entier de la ville et eurent leurs propres maisons de jeux, leurs boulangeries, leurs théâtres, leurs journaux et, nous le voyons, leurs propres clubs.

Le même bâtiment en 1960
L’histoire de la famille Verdier nous rappelle que des centaines de milliers de Français ont émigré aux Amériques[v] et que certains ont contribué anonymement et à leur façon à la propagation du baseball.

***

[i] « The Ville de Paris And The Bostons To Cross Bats Today », in The Herald, 27 septembre 1896, p. 12.
[ii] On relève un très grand nombre de militants socialistes, de gardes nationaux et de gardes mobiles, pratiquement déportés au moyen d'une loterie dite des "Lingots d'or".
[iii] L’une des scènes du film Safety Last! (Monte là-dessus ! en français) de 1923 avec Harold Lloyd dans le rôle principal est tournée dans le bâtiment du City of Paris de Los Angeles, situé sur 712 South Olive et 7th Street.
[iv] La City of Paris Dry Goods Company restera sous contrôle et direction des héritiers Verdier jusqu’à sa fermeture en mars 1972.
[v] A la différence des communautés dItaliens, dIrlandais ou de Chinois, les Français se sont fondus dans la population, ont anglicisé leurs noms ou sont tout simplement rentrés en France.

1 commentaire:

  1. Belle histoire.

    On ne se rend pas toujours compte de la grande influence de la France et des français immigrés sur l'histoire américaine, soit par l'entremise des canadiens-français, soit par ceux venant directement de France (notamment les alsaciens, les basques...).

    Les coureurs des bois français ont exploré bien des régions des USA avant même les premiers pionniers américains. Leur entente avec les nations amérindiennes ont conduit à beaucoup de métissage là où ces peuples furent, au mieux, déconsidérés par les pionniers et l'état américain. L'histoire française aux Etats-Unis va au delà de la simple Louisiane.

    À la fin du XIXème et au début du XXème siècle, beaucoup de familles françaises ou canadiennes-françaises de 1ère, 2ème ou 3ème génération pratiquées encore exclusivement le français, notamment dans le nord-est américain et les états de l'ex-Louisiane française comme l'Iowa, l'Ohio, les villes de Saint Louis, Nouvelle Orléans... Ce qui a conduit certains Big Leaguers a porté le surnom de Frenchy comme Frenchy Bordagaray (qui se considérait plus basque que français d'origine d'ailleurs) ou Nap Lajoie (surnommé The Frenchman). Encore aujourd'hui, Jeff Francoeur est surnommé le Frenchy...

    Une histoire du baseball français aux Etats-Unis sommeille encore là-bas. Merci de la réveiller !

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