25 février 2013

Un premier soutien ministériel


En marge de l’Exposition Universelle se tient à Paris, du 31 juillet au 5 août 1900, le premier Congrès International de l’Enseignement Secondaire. Les questions que l’on y étudie sont notamment celles de savoir quels sont la place et le rôle de l’enseignement secondaire dans la société, ou par quels moyens la personnalité des élèves peut être développée. L’éducation physique est également abordée puisque, nous l’avons vu (voir notre article), c’est un sujet au cœur des préoccupations du moment. Parmi les personnalités intervenant à ce Congrès figure Georges Leygues, alors Ministre de l’Instruction Nationale[i], qui suit les débats avec beaucoup d’attention.

Sans doute le Ministre est-il sensible au rapport sur le rôle social de l’enseignement secondaire aux Etats-Unis[ii] présenté aux membres du Congrès par Henriette Tisné. Bien que Déléguée officielle des Etats-Unis d’Amérique, Mme Tisné est diplômée de la Sorbonne et dirige un établissement privé français pour jeunes filles, le Tisné Institute, établi à New York au 553 West End Avenue. Au sujet du sport, elle dit ceci : « Quant au physique, son développement est encore plus marqué. Dans cette éducation de collège, le sport, l’exercice violent au plein air, joue un rôle au moins égal à celui de l’enseignement. C’est la course ou le saut, le jeu de paume, le tennis, la bicyclette, la boxe, le canotage, le base-ball, un jeu de balle assez analogue au jeu de cricket anglais (seulement la balle est lancée avec tant de force que celui qui est chargé de l’attraper porte un masque de fer, un plastron rembourré, un gant de six ou huit centimètres d’épaisseur) […] Eh ! bien, oui, c'est brutal si vous voulez, mais c'est spartiate, cela trempe et fait des lutteurs, pas seulement au physique, mais au moral aussi. Des athlètes américains étaient ici dernièrement, qui représentaient plusieurs de ces collèges. Ils ont emporté tout devant eux. En Angleterre, ils ont eu le même succès. Et ne voyez-vous pas la même force, la même énergie, le même désir de vaincre dans toutes les professions, toutes les divisions de leur société ? Dans les affaires, dans toutes les professions, jusque dans les arts, ils ont fait des pas de géant. Eh bien ! C’est leur éducation secondaire surtout, qui ouvre le monde devant eux. » Et Mme Tisné de conclure que, aux Etats-Unis, l’éducation est adaptée aux besoins de ceux à qui elle s’adresse.

Georges Leygues

Le sport serait-il la clé de la porte du monde, la garantie pour les Etats de disposer de générations de jeunes gens aux corps et aux cœurs endurcis, capables de s’imposer sur les champs de bataille et de faire vaciller des empires ? L’idée est déjà bien ancrée dans les esprits depuis une dizaine d’années, mais ce sport venu d’outre-Atlantique est-il réellement si efficace ? Est-il vrai qu’il a joué un rôle dans la préparation des soldats américains dans la guerre contre l’Espagne ? Quoique nous puissions imaginer qu’il a assisté à l’une des démonstrations orchestrées par Spalding cet été, il n’en faut probablement pas plus à Georges Leygues pour se convaincre qu’il y a là matière à tenter quelque chose à moindre frais : Pourquoi ne pas imiter les Américains et faire pratiquer dès l’adolescence ce sport spartiate qu’est le baseball ? Puisque certains lycées y jouent déjà, qu’il existe une aire de jeu spécifique dans le bois de Boulogne et qu’il est relativement simple de se procurer du matériel à Paris, il suffit de trouver un ou deux instructeurs chevronnés pour lancer l’expérience dès le prochain printemps. Si les résultats s’avèrent concluants, elle sera reproduite à plus grande échelle.

Publicité pour les établissements A.-A. Tunmer, situés à quelques centaines de mètres du lycée Janson-de-Sailly (Bulletin Officiel de l’Union Vélocipédique de France du 10 mai 1901 p. IV).
Sous l’impulsion du Ministre, le jeune Albert Hopkins, ancien lanceur de l’équipe du St. Johns College et fils du président du Womens’ College de Baltimore, et le newyorkais Henry Alexander, précédemment avocat de l’ambassade des Etats-Unis à Paris, sont tous deux engagés en juillet 1901 pour remplir cette mission. L’objectif qui leur est assigné est relativement modeste mais après tout ce n’est qu’une première étape : initier méthodiquement quelques Français lors des matchs organisés par les étudiants américains du Quartier Latin. Le baseball hexagonal acquiert subitement quelques belles lettres de noblesse supplémentaires et fait couler beaucoup d’encre dans les journaux américains[iii] : Entre satisfaction générale et fierté nationale, nous pouvons notamment y lire que “Nonobstant le talent des instructeurs, le jeu ne fera probablement pas de rapides progrès parmi les français, qui le considèrent trop brutal. » Qu’à cela ne tienne, au moins pouvons-nous nous dire que la bonne fée Instruction Nationale s’est enfin penchée sur son berceau et qu’avec une telle marraine les choses vont désormais pouvoir prendre une nouvelle dimension !

Dans l’absolu, oui, nous pourrions être pleinement satisfaits mais, malheureusement, les traces de cette intéressante expérience initiée par le Ministre se perdent de manière incompréhensible sans qu’il soit possible de déterminer ce qu’il est advenu de ce programme. De manière incompréhensible, certes, mais certainement pas sans raison. En cherchant avec beaucoup de soins, nous découvrons qu’Albert Hopkins est connu parmi les étudiants du Quartier Latin pour s’être illustré dans le Bois de Boulogne en remportant un duel au sabre contre un Français au tout début du mois de juillet[iv]. Les articles parus dans la presse américaine au sujet de cet incident rapportent qu’il est sorti de son duel avec une belle balafre à la joue tandis que son adversaire, désigné sous le nom de Henry d’Estournel, a été blessé au bras. Bien que les duels de ce type soient encore monnaie courante à cette époque, il y a fort à parier que cet incident n’est pas étranger à la disparition de ce projet. Ainsi donc, une fâcheuse querelle aurait pu ruiner à ce stade le développement du baseball ?

Hasard ou pas, il est assez curieux voire troublant de lire dans un article du Boston Daily Globe à la fin du mois d’août 1901[v] une histoire humoristique faisant intervenir deux personnages, Henri et Alphonse (prénom commençant étonnamment comme Albert), qui se disputent avec un arbitre au cours d’une partie de baseball en France et évoquent un règlement du conflit au moyen d’un duel.


Serait-ce un clin d’œil à Franck Norris et son Buldy Jones ?

***

[i] Il exercera tout au long de sa carrière plusieurs mandats ministériels et notamment celui de Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts de novembre 1898 à juin 1902. Il sera également Ministre de la Marine, Ministre des Affaires Etrangères, et même Président du Conseil de septembre 1920 à janvier 1921.
[ii] Voir « Le Congrès international de l'enseignement secondaire à l'Exposition universelle de 1900 : procès-verbaux et comptes rendus officiels », Annexe C Communications diverses, p. 131.
[iii] Nombreux articles à ce sujet et notamment : « France Has Decided To Have Our National Game Played By Frenchmen », in The Pittsburgh Press, 14 juillet 1901 ; « The Study Of Baseball », in The Minneapolis Journal, 16 juillet 1901, p. 10 ; Baltimore Morning Herald, 18 juillet 1901 ; « French Students To Be Taught Baseball », in Spokane Daily Chronicle, 16 juillet 1901.
[iv] « Slapped A Frenchman’s Face », in The Deseret News, 6 juillet 1901 ; « American Wins Sword Duel », in Dubuque Daily Telegraph, 7 juillet 1901.
[v] « Baseball in France », in Boston Globe, 25 août 1901, p. 27 ; repris dans The Saint Paul globe du 2 septembre 1901, p. 8, ainsi que dans le The St. Johns Herald du 1er février 1902.

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