5 mars 2013

Une décennie perdue ? (première partie)


Qu’on ne s’y trompe pas, le match du Buffalo Bill’s Wild West n’est pas du tout représentatif de l’activité baseballistique durant la première décennie de ce nouveau siècle et doit plus être considéré comme un événement isolé. Bien qu’à la suite du turf et du cyclisme les journaux et revues spécifiquement dédiés au sport et les colonnes consacrées aux compétitions dans la presse généraliste n’aient jamais été aussi nombreux[i], l’information sur le baseball se fait soudain plus rare dans la presse. Les quelques articles et ouvrages qui traitent de ce sport en France sont particulièrement décevants et ne permettent pas de se faire une idée précise de sa pratique : si le journal est américain, il y fait allusion de manière très vague ; si le journal est français, le baseball y est souvent traité comme une curiosité plus que comme une activité vraiment digne d’intérêt ou réellement concrète. A croire que l’incident du duel de 1901 a bel et bien sonné le glas du développement de cette discipline dans l’hexagone. Voici un petit échantillon de ce qu’il est possible de trouver.

La Croix[ii] fait brièvement état dans sa rubrique des faits divers en août 1903 d’un grave accident survenu dans un stade de baseball de Philadelphie au cours duquel plusieurs personnes auraient trouvé la mort. Si l’information est reprise dans la presse française, c’est bien évidemment en raison de son aspect sensationnel - pour ne pas dire macabre - et non en raison du sport concerné. Il s’agit là d’un événement tragique de l’histoire du splendide stade de Baker Bowl inauguré en 1887. Bien que d’une capacité de 18.000 places, l’affluence sera telle le 8 août 1903 lors d’un programme double joué par les Phillies contre les Boston Beaneaters que les gradins de troisième base s’écrouleront, provoquant la mort de douze spectateurs[iii].


Les tribunes de Baker Bowl après la catastrophe (1903).
Dans le feuilleton du Figaro du 30 novembre 1903[iv], intitulé « En Amérique », le journaliste Jules Huret explique avoir lu un exemplaire du journal Boys’ Hour et s’amuse de ce qu’il y découvre : « Dans un article sur le base-ball, j’apprends que San Francisco possède actuellement plus de soixante-dix équipes de base-ball ! Le rédacteur ajoute : Ce jeu, en quelques minutes, permet de gagner bon appétit. Mais c’est avant tout le sport masculin par excellence. Il vous apprend à devenir vif et développe la promptitude et la rapidité de l’esprit. Certains joueurs sont devenus si adroits à ce jeu qu’ils en ont fait leur métier. Joe Corbett, le phénoménal lanceur de balles reçoit un dollar par chaque balle qu’il lance. » 

Les Jeux olympiques de Saint Louis s’avèrent être une vaste mascarade : organisés en 1904 en même temps que l’exposition universelle, ils durent aussi longtemps que ceux de Paris et intègrent dans un stade quasiment vide de bien étranges épreuves[v], dont plus de la moitié ne se déroulent qu’entre Américains[vi]. Il faut évidemment préciser que seuls 12 pays participent à ces jeux et que Français et Anglais les boudent très officiellement. Oui, on y joue au baseball mais cela n’intéresse ni ne concerne les Français, qui auraient pourtant peut-être pu aligner une équipe.

En 1905, un auteur répondant au nom d’Ernest Weber édite à Paris un petit ouvrage d’à peine plus de cent pages dans lequel il se propose de présenter « le basket-ball, le base-ball, la crosse, le hockey, le golf, la longue paume, le jeu de paume, la pelote basque, le badminton, le cricket, la thèque, le croquet »[vii], en panne d’imagination c’est d’ailleurs le titre qu’il donne à son recueil. Evidemment, pour ce qui est de le retenir et d’être capable de le réciter à son libraire habituel pour qu’il puisse en commander un exemplaire, c’est une autre histoire. A part un descriptif des règles et du terrain, il n’y a de toute façon pas grand’ chose à en tirer.

Le New York Times[viii] annonce en 1906 l’organisation prochaine d’un congrès international à Bordeaux, auquel sont invités des étudiants d’universités américaines. C’est là l’occasion de présenter le Bordelais en quelques lignes, d’expliquer que de toutes les villes françaises, Bordeaux est celle où les anglophones ont le moins de difficultés à se faire comprendre, et d’ajouter que « football et baseball vont de pair dans cette ville ». Nous ne demandons qu’à y croire mais il faut avouer que c’est un peu léger pour nous en convaincre. Se pourrait-il que Bordeaux ait eu un championnat de baseball à cette époque ?

Illustration de l’article du Journal de la Jeunesse (1907)légendée "Arrivée sur base".
Remarquez que la photo semble avoir été prise à l’intérieur d’un bâtiment.
Fait rare, un chroniqueur nommé André Savignon offre en 1907 aux lecteurs du Journal de la Jeunesse[ix] un excellent article de trois pages sur le baseball, qui plus est illustré de trois clichés représentant des joueurs Parisiens. Nous ne pouvons que relever un certain chauvinisme à la lecture de son introduction au sujet des sports britanniques comme le rugby, le golf ou le hockey : « Peut-être que si ces « sports » nous avaient été présentés avec des noms français, nous leur eussions trouvé moins de charme. Et la chose eut été possible, en vérité, car, il faut le répéter bien haut, la plupart de ces jeux ont été inventés par nos ancêtres. Il y aurait même un joli chapitre à écrire sur ces exercices de force : montrer comment ils naquirent chez nous et indiquer comment les anglais nous les ont rendus, transformés, après un emprunt de quelques siècles. Ces pages ne seraient pas dépourvues d’intérêt ethnologiques […] Ces pages ne seraient pas non plus dénuées d’ironie à l’égard du snobisme de nos nationaux qui n’a d’engouement que pour l’étiquette Made in England. Est-ce pour cela que le baseball, jeu américain, a rencontré jusqu’ici si peu d’adeptes chez nous ? C’est bien possible. Le base-ball est le sport national des Etats-Unis, les Anglais eux-mêmes le pratiquent fort peu et les différentes tentatives de lancement qui ont été faites en France n’ont donné que de pauvres résultats. » Cet article donne l’occasion d’apprendre que le Stade Français et le Racing Club s’y sont vainement essayés dans le jardin du Luxembourg et à Meudon, et que seuls les étudiants de l’American Art Association y jouent encore à Paris à l’époque. Et l’auteur d’ajouter : « Les Américains s’étonnent de nous trouver si réfractaires à leur sport favori. […] Notre indifférence tient peut-être à ce que ce sport est généralement mal connu. Nous allons l’expliquer dans ces grandes lignes, peut-être quelques-uns de nos lecteurs seront-ils tentés de le mettre en pratique. » S’ensuit une explication très précise du jeu, dans laquelle peut être perçu tout le soin mis à la vulgarisation de cette discipline. Savignon ne manque ainsi pas de souligner les analogies avec le jeu bien français de la balle au camp, ou bien, pour décrire le gant, d’expliquer qu’il ressemble à celui utilisé pour la boxe. Peine perdue ! Il est fort douteux que cet article ait suscité de nombreuses vocations.

Illustration de l’article du Journal de la Jeunesse (1907)[x].
S’agit-il du terrain du Bois de Boulogne ? Notez la forme du marbre.


[A suivre…]

***

[i] Voir à ce sujet « Histoire du sport en France du Second Empire au régime de Vichy », par Philippe Tétart (dir.), éditions du Musée National du Sport, 2007.
[ii] La Croix, 11 août 1903.
[iii] C’est une bagarre provoquée à l’extérieur du stade, derrière les gradins de troisième base, qui est à l’origine de la catastrophe. Le mouvement des curieux vers l’extrémité supérieure de la structure est responsable du déséquilibre et de l’effondrement. Outre les 12 morts, on recense plus de 300 blessés.
[iv] Le Figaro, 30 novembre 1903, p. 4.
[v] Des « journées anthropologiques » sont ainsi réservées à des compétitions à caractère raciste destinées « aux représentants des tribus sauvages et non civilisées » présents dans le cadre de l’exposition universelle.
[vi] Ils remportent de fait 85% des médailles.
[vii] « Le basket-ball, le base-ball, la crosse, le hockey, le golf, la longue paume, le jeu de paume, la pelote basque, le badminton, le cricket, la thèque, le croquet », par Ernest Weber, édition Nilsson, Paris, 1905.
[viii] « Students To Meet In Bordeaux », in The New York Times, 19 août 1906.
[ix] Le Journal de la Jeunesse, 1er juin 1907, p. 350, éditions Hachette.
[x] Cette photographie est reprise comme illustration d'un article intitulé « Golden Wedding Of Uncle Sam To Baseball », in The Cook County Herald, 10 août 1907, p. 1. Ce journal paraît dans la ville de Grand Marais, Minnesota.


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