12 avril 2013

La All-Paris League (2ème partie) – La fièvre


Evoquant le phénomène du baseball à Paris en mai 1913, le Sunday Chronicle[i] parle littéralement d’une fièvre collective, d’une tempête qui s’est soudainement abattue sur la ville : « Les magasins de sport font des stocks de balles, de battes, de masques, de gants pour pouvoir faire face à la demande croissante ». Voilà qui doit certainement faire le bonheur de Burgess. « Plusieurs centaines de spectateurs curieux ont fait le déplacement jusqu’à Colombes il y a quelques jours pour voir le premier match joué officiellement par le Racing Club. Au fur et à mesure que le match progressait, les Parisiens étaient de plus en plus fascinés et, à la fin de la neuvième manche, chacun se promettait d’essayer de jouer ».


Ce succès est directement attribué d’une part à quelques exhibitions rondement menées, d’autre part à une certaine soif de nouveauté, à un engouement tout récent des Français pour les sports de plein air, pour ne pas dire une mode, et enfin au nouvel esprit qui règne, mélange de confiance, d’action et de moralité. Pour illustrer son propos, le journaliste du Sunday Chronicle cite l’écrivain Maurice Barrès[ii], dont le premier axe de pensée est « le culte du moi », et qui soutient qu’un homme peut produire une toute aussi belle poésie ou philosophie en revenant d’un match de tennis que s’il portait un nœud papillon et avait l’œil vitreux.

A moins que la principale raison de cette fièvre ne soit à chercher dans un procédé assez peu orthodoxe mais apparemment diablement efficace utilisé par les organisateurs pour rameuter les spectateurs aux matchs de baseball. C’est The San Francisco Call qui le suggère dans un article en date du 1er juin[iii], en informant les lecteurs que Jean duc Decazes duc de Glücksberg enjoint dans un courrier les membres du Cercle d’escrime Hoche dont il est le président, à ne plus annoncer à l’avance les duels auxquels ils participent. Il est également demandé aux témoins d’éviter de publier les protocoles dans la presse et en particulier d’indiquer la date et le lieu fixés, cette pratique étant soupçonnée de constituer une forme déguisée de publicité. Cet article fait état d’une rencontre dans le parc du château d’Orly, à laquelle un public nombreux aurait assisté. Ainsi, les spectateurs seraient rassemblés par dizaines au prétexte d’assister à des duels - réels ou organisés pour l’occasion - qui ne serviraient qu’à les attirer à des matchs de baseball ? Nous devons avouer que ce serait ingénieux mais beaucoup trop osé.

Bien entendu, il nen est rien. En réalité, le San Francisco Call prend quelques libertés avec l’actualité française et fait référence ici à un duel livré suivant une rigueur inusitée et des conditions jugées extrêmement sévères pour l’époque[iv], le 7 mai 1913 à 11 heures, entre MM. Georges Breittmayer et H.-G. Berger, et qui chose particulièrement inhabituelle ! avait été annoncé entre autres dans Le Matin[v]. Ce combat fut suivi par une cinquantaine de personnalités parisiennes et couvert par de nombreux journalistes et photographes.

Illustration dans The Evening World du 20 novembre 1912,
par le dessinateur R. Edgren.
Baseball dans cette chère France.
- M’sieu ! Ma carte ! Nous nous battrons à la batte de baseball demain matin !
Il n’y a rien d’étonnant par conséquent à ce que les reporters américains s’emparent de cet événement, le rapprochent des développements concomitants du baseball à Paris et en tirent un nouveau gag récurrent à souhait. Nous pouvons lire par exemple dans The Washington Herald[vi] :
« J’ai entendu dire que les Parisiens se mettent au baseball. Comment cela se passe-t-il ? » 

« Plutôt bien. Juste quelques retards entre les innings dus aux duels entre les joueurs. »

dans le University Missourian[vii] :
« On rapporte que la France se met au baseball. Si un joueur n’aime pas les décisions de l’arbitre, il peut le défier [en duel] »
ou bien encore dans le Hopkinsville Kentuckian[viii], après la contestation d’un appel par le batteur :
« The captain My card, M’sieur.” 

The umpire “And mine, captain.” 

The captain “My friend, ze pitchaire and ze shortstop, will honor zereselfs by calling upon you zis evening at seex by the clock. If it is agreeable to m’sieur ze meeting will tak’ place at seex by the morning clock behind ze grande Hotel. ” 

The fans fiercely: Oh, lala, play ze ball! »
Pas de doute, l'humour potache de Frank Norris et plus encore peut-être l'épisode du duel avec d'Estournelles sont toujours bien présents dans les esprits.

[A suivre]
***

[i] « Baseball Fever Rages in Paris », in The Sunday Chronicle, 18 mai 1913.
[ii] Maurice Barrès (1862-1923), écrivain et homme politique français, figure de proue du nationalisme français, entré en 1906 à l’Académie Française.
[iii] « Baseball Craze Is On In France », in The San Francisco Call, 1er juin 1913, p. 24. Voir également mais plus tôt « Baseball In France », in The San Francisco Call, 29 avril 1913, p. 20 (« Baseball is catching on in France and that seems to indicate that we shall be reading about a duel between a sporting editor and an umpire »). 
[iv] Gant à crispin jusqu’au coude, cinq mètres seulement derrière chaque adversaire, le terrain gagné reste acquis, pas de volte, duel sans arrêt qui ne peut prendre fin qu’à la demande du blessé lui-même. Selon Le Matin, le dernier combat en de pareilles circonstances remontait à 1864.
[v] « Le duel Breittmayer Berger », in Le Matin, 29 avril 1913, p. 2. ; voir aussi les éditions du 1 er mai 1913, p. 3, du 5 mai 1913, p. 2 et enfin 8 mai 1913, p. 2. Ce duel sera remporté par Breittmayer, qui n’est autre que le fondateur du Comité d’escrime de Paris en 1909.
[vi] The Washington Herald, 22 juin 1913, p. 4.
[vii] University Missourian, 13 avril 1913, p. 2.
[viii] « Possibility Of The Future », in Hopkinsvolle Kentuckian, 23 août 1913.

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