4 mai 2013

L’American Paris Team


Le moment est venu de prendre la peine de nous attarder sur la composition des deux équipes phares de la saison 1913 que sont lAmerican Paris Team et le Racing Club de France. Si quelques noms de joueurs de cette dernière ont été précédemment évoqués (voir Muhr et le Comité de Paris), nous reviendrons très bientôt plus en détail sur cette équipe. L’American Paris Team nous est, quant à elle, encore inconnue bien quelle compte dans ses rangs quelques-uns des plus brillants représentants de la jeunesse américaine dans la capitale. Vous trouverez ci-après une brève présentation de quelques-uns de ses membres ayant joué durant la saison régulière[i]. La plupart acquerront, chacun dans son domaine, une renommée mondiale. Cest dire si cette équipe est un historique et remarquable concentré de talents en tous genres et mérite notre entière attention !

Il y a tout dabord le peintre américain Robert Lewis Sutherland[ii], alors âgé de 24 ans.

Il y a aussi le tout jeune Eben Given[iii], originaire de Chicago, qui sillustrera plus tard comme portraitiste et illustrateur mais qui, pour lheure, en est encore à suivre lenseignement des maîtres français.

William Edouard Scott[iv], peintre afro-américain, vit en France depuis 1909, où il étudie à l’Académie Julian et à l’Académie Colarossi. Peu de temps après son arrivée dans notre pays, l’artiste afro-américain exilé Henry Ossawa Tanner l’a invité à passer quelques temps dans sa maison en Normandie et est finalement devenu son mentor. Rainy Night, l’un de ses tableaux exposés à l’Indianapolis Museum of Art, représente la mairie d’Etaples-sur-Mer, village qui a abrité comme nous lavons vu une communauté dartistes.

William Auerbach-Levy[v] ou plus couramment Levy, peintre et graveur Russo-américain né à Brest-Litovsk, a émigré aux Etats-Unis avec sa famille en 1894. Avant de revenir en Europe pour y étudier pendant deux ans à Paris à l'Académie Julian, Auerbach-Levy a suivi des cours à la National Academy of Design de New-York aux côtés notamment du futur illustre Norman Rockwell. Récipiendaire en 1928 d’une Bourse Guggenheim, il deviendra célèbre pour ses nombreuses caricatures de personnalités (voir celle de Babe Ruth). Celui- manie apparemment aussi bien la batte que le pinceau : le jour de l’Opening Day de la All-Paris League, par exemple, ce redoutable batteur[vi] frappe 5 hits en 6 passages au marbre.

Archibald Brown[vii], diplômé de Harvard en 1903, étudie aux Beaux-Arts. Fils du très influent promoteur immobilier newyorkais Charles Stelle Brown, il est le frère aîné de Lucy Stelle Brown et de Lathrop Brown, brillant politicien fraîchement élu membre de la Chambre des représentants des Etats-Unis et ami très proche de Franklin Delano Roosevelt, futur président des Etats-Unis. Archibald Brown est aussi un sportif émérite, qui a notamment pratiqué le tennis à Harvard. Nul doute que le baseball na aucun secret pour lui. Il fera par la suite une très brillante carrière d’architecte à New York et sera par ailleurs président du très respecté Shinnecock Hills Golf Club.

Membre de l’Art Students League, Robert McGill Mackall[viii], originaire de Baltimore, a étudié en Bavière à l’académie de Munich avant dintégrer l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Il sera essentiellement connu pour ses splendides vitraux venus dun autre temps et ses fresques murales, dont certaines ne sont pas sans rappeler celles qui ornent les salles du château de Neuschwanstein.

William L'Engle (autoportrait réalisé en 1914 à Paris)
William Johnson L’Engle Jr.[ix], descendant de George Washington, a étudié à l’université de Yale, dont il a été un brillant membre de l’équipe d’athlétisme. Diplômé en architecture navale en 1906, il s’est inscrit à l’Art Students League de New York puis sest rendu en 1909 à Paris, où il étudie la peinture à l’Académie Julian ainsi qu’à l’Ecole des Beaux-Arts.

Waldo Peirce
Ami de William LEngle, le colossal et fortuné Waldo Peirce[x], ancienne vedette de l’équipe de football américain de Harvard dont il est sorti diplômé en 1909, est à Paris pour parfaire sa formation de peintre. Il sera surnommé bien plus tard le « Renoir américain ». Nous aurons loccasion de reparler de lui ultérieurement.

L’équipe du Quartier Latin de 1913 comprend également les artistes Coulin, Riker, Robus, Lewis, Deninger, et plus temporairement deux autres membres qui ne sont pas étudiants en arts et ne font que passer par la France. Disons qu’ils sont là un peu par accident, mais empressons-nous d’ajouter que leur présence n’ajoute que plus de relief à cette équipe de baseball déjà bien haute en couleur.

John Reed
John Silas Reed[xi], surnommé Jack, est lui aussi diplômé de Harvard, mais en 1910. Il est lancien capitaine de l’équipe universitaire de natation. Figure de la scène radicale de Greenwich Village, Reed couvre en tant que journaliste pour le compte d’American Magazine les sévères mouvements de grève de Paterson dans le New Jersey, de février à début juillet 1913. Son implication personnelle lui vaut dêtre brièvement emprisonné, ce qui raffermit encore plus ses convictions politiques. Suite à cet épisode, il part en Europe et en profite pour rendre visite à son ami Peirce[xii] à Paris. Ces deux-là partagent une anecdote assez révélatrice du tempérament de Peirce : En 1910, alors qu’ils avaient pris place à bord d’un navire transportant du bétail à destination de Londres et que Peirce trouvait les aménagements assez spartiates, Reed eut la mauvaise surprise de voir son ami se jeter soudain à l’eau pour regagner à la nage le port de Boston. Sur le point d’être condamné pour le meurtre de son camarade par une Cour de justice britannique quelque peu expéditive, Reed fut cette fois agréablement surpris et même parfaitement soulagé de voir Peirce surgir en pleine audience. Il avait embarqué à bord du navire suivant, plus à son goût. Nous verrons que Reed a eu une vie quelque peu disons agitée.

Max Eastman
Le philosophe newyorkais Max Forrester Eastman[xiii], diplômé de l’université de Columbia, a quant à lui « pris le large » et s’est réfugié en France pour échapper à des poursuites judiciaires lancées par l’Associated Press suite à la parution d’un dessin d’Art Young dans l’édition de juillet de The Masses[xiv], son magazine politique d’extrême gauche mêlant articles politiques et littéraires. Eastman, le radical et féministe, et Reed, le révolté, sont faits pour s’entendre et c’est ce qu’ils feront, Reed acceptant la proposition d’Eastman de contribuer en tant que rédacteur à son magazine. En 1913, à son retour de France, Eastman publiera Enjoyment of Poetry, une étude des métaphores littéraires d’un point de vue psychologique.

***

[i] « Base Ball », in Le Matin, 26 mai 1913.
[ii] Robert Lewis Sutherland (1889-1932).
[iii] Eben Given (1894-1980).
[iv] William Edouard Scott (1884-1964).
[v] William Auerbach-Levy (1889-1964).
[vi] « Opening Game In Paris », in Honolulu Star-Bulletin, 28 mai 1913, 2:30 Edition, p. 7.
[vii] Archibald Manning Brown (1881-1956).
[viii] Robert McGill Mackall (1889-1982).
[ix] William Johnson L’Engle Jr. (1884-1957).
[x] Waldo Peirce (1884-1970). Voir notamment à son sujet, pour l’année 1912, The Pittsburgh Press du 13 octobre 1912.
[xi] John « Jack » Silas Reed (1887-1920).
[xii] Cf. Waldo Peirce, Brief life of a vibrant artist: 1884-1970, par William Gallagher, Harvard Magazine, janvier-février 2002, p. 34.
[xiii] Max Forrester Eastman (1883-1969). Parmi les contributeurs de The Masses figurent bien évidemment John Reed, mais aussi lépouse de celui-ci, la féministe Louise Bryant. Sur la fin de sa vie, il écrit des textes autobiographiques, dans lesquels il évoque ses nombreuses rencontres parmi lesquelles Charlie Chaplin, Isadora Duncan, Albert Einstein, Sigmund Freud, Ernest Hemingway, George Bernard Shaw, Mark Twain ou bien encore H. G. Wells.
[xiv] L’issue de ses poursuites sera favorable à Eastman, l’Associated Press renonçant finalement à obtenir réparation. “Editors Of Masses Will Not Be Tried”, in The Washington Socialist, 16 avril 1914, p. 1.

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