25 septembre 2013

Les premiers parrains - Spalding

Dans l’édito de l’édition du Spalding Official Baseball Guide[i] pour l’année 1913, A. G. Spalding, le magnat du baseball, fait écrire par John B. Foster :

« Deux nations de plus ont été conquises par le jeu national des Etats-Unis […] La France et la Suède ont annoncé leur intention d’organiser des ligues de Base Ball. Celle de la Suède est bien partie, en effet ils ont un club à Stockholm et d’autres suivront, tandis que les Français, qui se sont progressivement éveillés aux joies des activités athlétiques et qui ont choisi d’y prendre part d’une manière différente, espèrent avoir une nouvelle ligue avant la fin de l’été. Il n’y a aucun doute sur leur intention de jouer au Base Ball. Ils s’efforcent de trouver aux Etats-Unis des joueurs capables d’enseigner et les promoteurs français sont convaincus que l’opportunité devrait être donnée aux jeunes hommes de tirer parti de ce sport dont ils ont tant entendu et si peu vu. »




Albert Goodwill Spalding en 1910.
Fidèle à son opinion (cf. Résoudre le problème olympique), Spalding considère d’une part que si les Français se mettent au baseball dès l’enfance, ils seront en mesure de développer des athlètes hors pair, et d’autre part qu’ils ont largement démontré au travers de leurs résultats en tennis, golf ou boxe qu’ils sont tout à fait capables de le faire. Tout au long de lannée 1913 et jusquen 1914, il brosse un portrait plus qu’optimiste des développements du baseball et du sport en général dans notre pays, prédisant que les prochains jeux ne seront pas une simple promenade de santé pour les athlètes américains[ii], sans qu’il nous soit permis en aucune manière d’établir un rapport quelconque entre la pratique de cette discipline dans quelques clubs structurés et les futures performances des athlètes français aux Jeux. Dans un contexte de reconnaissance des valeurs sociales du sport et de réflexion au sujet de la création d’un Ministère dédié, ou bien encore d’une Université du Sport, la France est selon Spalding très sensible à l’intérêt de la pratique du baseball et cherche à s’approprier les recettes du succès des athlètes Américains. Il clame sans hésiter :

« Le prochain pays du baseball sera la France ! »[iii] ;
« Les Français ont adopté la boxe avec enthousiasme, et maintenant ils se mettent au baseball. Lorsqu’ils en auront appris les délices, il ne fait aucun doute que la France sera la seconde nation du baseball derrière les Etats-Unis »[iv] ;
« Les mouvements rapides du baseball rappellent aux Français ceux de l’escrime, leur sport national »[v].



Et il martèle son message encore et encore :

« Le prochain pays à disposer d’une ligue de baseball telle que celles que nous connaissons dans ce pays sera la France »[vi] ;
« Peut-être verrons-nous dans le futur des championnats du monde disputés par des équipes d’Australie, de France, de Cuba, d’Afrique du Sud, d’Argentine et des Etats-Unis »[vii].


En un mot comme en cent, ce n’est dans son esprit l’affaire que de quelques années avant que les premiers matchs d’un niveau respectable entre équipe américaines et françaises ne soient organisés[viii]. Il déclare ainsi lors d’une interview accordée en juillet 1913 :

« Je ne serais pas du tout surpris de voir de solides équipes de ce pays [les U.S.A.] et de France [s’affronter] en compétitions internationales de baseball, tout comme les Français jouent désormais au cricket ou au football contre les Anglais »[ix].



Les théories de Spalding sont largement reprises et amplifiées dans la presse américaine, où l’on peut lire par exemple :

« Lorsque le monde entier jouera au baseball, alors il y aura véritablement l’espoir d’une paix mondiale. Et le baseball va conquérir le monde ce n’est qu’une question de temps, et, à en juger par les faits, cette conquête sera achevée avant la fin du premier quart de ce siècle » ;

Ou bien encore :

« Si la France est conquise, le reste de l’Europe suivra. […] Le baseball sera un sport mondial. C’est là sa destinée manifeste »[x].

Destinée, le mot est lâché ! Certains vont même jusquà voir dans toute cette agitation les signes prémonitoires d’une inversion du cours des relations internationales : « Nos diamants et terrains de football américain vont-ils devenir, comme notre gouvernement, l’objet de l’admiration des anciennes nations ? »[xi].

Sur le terrain, Spalding effectue au moins deux voyages en Europe au cours de lannée 1913. Le premier lui permet dassister à Lausanne du 8 au 11 mai 1913, en qualité de Special Commissionner, au cinquième congrès du Comité International Olympique réuni sur le thème des aspects psychologiques et physiologiques du sport. Dans ce cadre, Spalding prêche une fois de plus pour sa paroisse auprès du mouvement sportif olympique en général et Français en particulier et intervient sur un sujet qui lui tient à cœur : le baseball, évidemment. A vrai dire, il participe à un grand nombre des travaux du C.I.O. depuis les Jeux de Saint-Louis en 1904 durant lesquels il a pu, en sa qualité de Président de l’United States Olympic Committee, glisser dans le programme le baseball comme sport en démonstration, sans réel succès du reste. Plus tard dans le courant de l’été[xii], du 20 au 23 août 1913, il participe également à une réunion de l’International Amateur Athletic Federation à Berlin ayant pour objectif de définir les règles standards du sport, d’approuver les records du monde et d’assurer le respect du code de l’amateurisme. En cette occasion, il visite le tout nouveau stade construit pour accueillir les prochains Jeux.

Ces circonstances lui donnent l’occasion de suivre de très près le développement du baseball Français et sans doute de faire bien plus que de simplement donner quelques coups de pouce aux pionniers locaux, ou bien encore d’offrir un trophée en bronze à la meilleure équipe scolaire[xiii]. Preuve s’il en est besoin de son influence sur la pratique de ce sport sous nos latitudes, le club de baseball fondé par William H. Burgess au Vésinet initialement sous la désignation de Sporting Club, prend pour nouveau nom Spalding Athletic Club. Bien entendu, le fait que Burgess travaille pour la société Spalding n’est pas tout à fait étranger à cette initiative.

Dans le même temps et puisqu’il est avant tout un homme d’affaires, il profite de son séjour en France pour fonder, au 27 rue Tronchet à Paris, d’une part la Société Française des Publications Sportives[xiv] (filiale de la Spalding’s Athletic Library qui édite tous les guides sportifs), et d’autre part la Société Anonyme Française des Etablissements Spalding. Cette dernière a son magasin principal à deux pas du siège, au 35 boulevard des Capucines, emplacement stratégique s’il en est puisqu’il s’agit de l’angle avec la rue Daunou où se trouve le New York Bar de Sloan (cf. La All-Paris League (troisième partie) La contagion) ! Elle y commercialise essentiellement du matériel de golf, mais aussi bien entendu de baseball[xv], et ce pour la plus grande joie de Franz Messerly. Spalding place à sa tête son fils né de sa liaison avec Elizabeth Mayer Churchill[xvi], Albert Goodwill Spalding Jr. Celui-ci devient rapidement membre du tout nouveau Golf de Chantilly, y fréquente Allan Muhr (qui pratique aussi le golf), rejoint le Racing Club de France et commence ainsi à tisser son propre réseau de relations en France. Le groupe Spalding aura ultérieurement deux usines à Nanterre[xvii] et même une boutique à Cannes[xviii].

***
[i] Spalding’s Official Base Ball Guide, édition de 1913, p. 7.
[ii] « French Plans For Minister Of Sports », in The Oxnard Daily Courier, 12 février 1914.
[iii] « France Will Have Baseball League Soon », in The Mansfield Shield, 12 février 1914. D’où l’adresse de ce blog.
[iv] « Baseball For France, Says A. G. Spalding », in The Washington Post, 10 janvier 1914.
[v] « Baseball In France », in The Washington Times, 10 janvier 1914, p. 12.
[vi] « French Plans For Minister Of Sports », op. cit.
[vii] « Baseball In France », in The Washington Times, op. cit.
[viii] « Spalding Warns Americans », in The Sun, 10 janvier 1914, p. 10.
[ix] « Olympic Standard Rules », in The New York Times, 6 juillet 1913.
[x] « Baseball A World’s Sport », in The Day, 20 janvier 1913.
[xi] « Copying Our Games », in Evening True American, 20 janvier 1913.
[xii] Ce voyage à Berlin est tout à fait compatible avec la tournée promotionnelle en Normandie, Spalding ayant pu en effet emprunter la voie maritime vers le Nord de l’Europe en embarquant à Dieppe le soir du dimanche 17 août.
[xiii] Selon Zoss et Bowman, cf. “Diamonds in the Rough: The Untold History of Baseball”, p. 401.
[xiv] Cette maison d’édition publie notamment au tout début de l’année 1914 un vade-mecum des procès-verbaux et règles adoptées par la Fédération Internationale Athlétique d’Amateurs. Cf. « Jeux Olympiques », in Le Journal Amusant, 30 mai 1914, p. 14.
[xv] Voir à ce sujet l’encart publicitaire paru dans le quotidien sportif L’Aéro du 14 décembre 1913.
[xvi] Epousée en secondes noces en 1900, juste avant d’embarquer pour Paris (cf. La marque de Spalding).
[xvii] Dans les années 1920, au 15-17, rue Chanzy et au 18, rue Gambetta. Ces usines fabriqueront notamment des balles de tennis.
[xviii] Au 89, rue d’Antibes.

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