L’année 1914, porteuse de toutes les espérances pour le développement du baseball, s’annonce plus belle encore que 1913 pourtant déjà si riche en événements. Tout semble concorder pour une implantation durable du baseball, non seulement en France mais aussi, progressivement, en Europe. Alors qu’en janvier John Reed, l’aventurier de l’American Paris Team, chevauche aux côtés de Pancho Villa au Mexique[i], dont il couvre la révolution pour le Metropolitan Magazine, son ami Max Eastman, quant à lui, est retourné à ses occupations politiques habituelles et à The Masses. Au même moment, de retour à New York, Spalding annonce que tous les Américains de France mais aussi un grand nombre de parisiens attendent avec une grande impatience le passage des Giants et des White Sox[ii] dans la capitale. De quoi pourrait-on rêver de mieux pour lancer la saison ?
Couverture du livre écrit par Ted Sullivan à l'issue de la tournée mondiale. |
Près de 25 ans après la glorieuse expédition d’A. G. Spalding,
l’idée d’une tournée mondiale a en effet refait surface et des préparatifs en
ce sens sont concrètement lancés dès le début de l’année 1913. En remplacement
de Spalding, trop accaparé par ses différentes affaires, il ne faut pas moins
de deux hommes pour prendre le relais : ce seront John McGraw, le très
inspiré manager des New York Giants, et Charles Comiskey, le propriétaire de la
franchise des Chicago White Sox. Ensemble et avec la bénédiction du nouveau Président
des Etats-Unis Woodrow Wilson – qui appelle de ses vœux la création d’une ligue
internationale[iii] -, du
Secrétaire d’Etat[iv] et de
la National Baseball Commission, ils se fixent comme objectif de faire de cette
tournée pour leurs équipes « une
marche triomphante à travers des pays étrangers, pour le simple plaisir de
voyager et de montrer au monde quel jeu extraordinaire est le baseball »[v]. En clair, contrairement à Spalding qui était parti en quelque sorte la fleur au
fusil en Australie et, de là, avait improvisé une circumnavigation, il est
d’emblée envisagé de parcourir la planète et totalement exclu de dégager de
quelconques bénéfices de cette entreprise. Comiskey, considéré comme l’un des
hommes les plus riches du baseball et pourtant réputé pour être particulièrement
dur dans la négociation du salaire de ses joueurs[vi],
s’engage à supporter toutes les pertes. L’annonce de ce projet est accueillie
avec beaucoup d’enthousiasme dans toute l’Amérique du nord[vii].
Pour assurer les fonctions dévolues à Stanford Parry en 1888-89,
nous retrouvons celui-là même qui avait manqué le coche de la tournée de
Spalding et s’était mis en tête de convaincre Buffalo Bill d’emporter des
équipes de baseball avec lui lors de son tour d’Europe : l’imaginatif Ted Sullivan, alors scout pour les Chicago White Sox. Sa mission, qui débute au
mois d’août 1913 (c’est-à-dire au retour d’Europe de Dick Bunnell envoyé encore
plus tôt en repérage[viii]), doit
le mener à travers chacun des pays visités avec deux mois d’avance sur le reste
des 65 personnes qui composent la troupe, afin d’y régler partout les
préparatifs. Selon le journal L’Humanité, la dépense journalière de ce petit
monde est en moyenne de 3.750 francs[ix],
autant dire une fortune pour l’époque.
Du côté des joueurs, c’est sans surprise que l’on constate
que la plupart des réguliers des Giants et des White Sox répondent présents à
l’appel. Il faut admettre que c’est une occasion unique à l’époque de visiter
le vaste monde. Mais à raison de seulement 15 noms dans chacune des équipes[x],
les places sont très chères et la lutte est sévère. Gagnent notamment leur billet : Sam
« Wahoo » Crawford, Urban « Red » Faber, Tristam Speaker,
Christy Mathewson, Buck Weaver, Germany Shaefer, Fred Merkle, Mike Donlin,
Lawrence Doyle et bien évidemment Jim Thorpe. Parmi les heureux élus, nombreux
sont ceux qui choisissent de voyager avec leur épouse. C’est ainsi le cas de Crawford,
Doyle ou bien encore de Thorpe. Jim Callahan, le manager des White Sox, est quant
à lui accompagné de sa femme et de ses deux enfants.
La tournée, lancée à Cincinnati le 18 octobre 1913 juste
après la fin des World Series, dure cinq mois et compte de très nombreuses
étapes mais, à bien y regarder, une fois passée l’Australie, le trajet suivi ne
s’écarte guère de celui de la tournée de 1888-89 : tout d’abord une grande
traversée pour rejoindre le Sud-ouest américain, puis Vancouver au Canada,
Tokyo, Kobe, Nagasaki et Yokohama au Japon, Shanghai en Chine, Hong Kong,
Manille aux Philippines, Brisbane, Sydney, Melbourne, Adelaide, Fremantle en
Australie, Colombo à Ceylan, Le Caire et ses pyramides, Alexandrie en Egypte,
Naples, Rome (et une entrevue avec le Pape !) en Italie, Nice et Paris
pour la France, puis l’Angleterre et enfin un retour à New York à bord du
Lusitania[xi] le 6 mars 1914.
A lire les récits de ce périple et les articles de presse,
on sent combien ces « touristes » ont pu prendre du plaisir à
traverser ces contrées. Mais au final, une fois le soufflet retombé, qu’est-il
resté de cette tournée ? Qu’a-t-elle apporté de plus au développement du
baseball local ? Bien peu de choses, en réalité. Alors que d’aucuns prévoyaient
des accueils délirants « spécialement
au Japon, aux Philippines, en Australie et en France »[xii], il faut bien reconnaître que les conditions météorologiques ont été assez déplorables
en Europe et n’ont pas permis d’atteindre tous les objectifs fixés. Le passage
en Irlande a ainsi été tout bonnement annulé et seuls trois pays du vieux continent ont eu le
privilège de voir passer les professionnels du baseball. De plus, à très court
terme, les événements politiques ont eu tôt fait d’y occulter ces insouciantes
démonstrations sportives, comme nous le constaterons prochainement.
***
NB : Au sujet de cette tournée, je conseille particulièrement
la lecture
- de
« The Tour to End All Tours: The Story
of Major League Baseball's 1913-1914 World Tour », de James E. Elfers,
paru en 2003 aux éditions University of Nebraska Press ;
- de « The Empire Strikes Out: How Baseball Sold US
Foreign Policy And Promoted The American Way Abroad », de Robert Elias, paru
en 2010 aux editions The New Press.
[i] « Wilson To Aid Baseball
Team », in The
New York Times, 17 juin 1913.
[ii] William Jennings Bryan donne des consignes aux consuls et corps diplomatiques
des pays traversés afin qu’ils facilitent le voyage.
[iii] « Giants And White Sox To Tour
World », in The New York Times, 2 février 1913.
[iv] Sa dureté lui sera d’ailleurs reprochée quelques années plus tard au moment du
scandale des World Series de 1919, qui mènera 8 de ses joueurs au ban.
[v] Rares sont les journaux qui n’abordent pas le sujet. Voir par exemple « American Baseball Teams
», in Poverty Bay Herald, 12 février 1913, p. 5 ; ou encore The Montreal Gazette du 12 février 1913.
[vi] « Baseball Tour’s Director
Here », in The New York Times, 11 août 1913. A son arrivée, Dick
Bunnel s’empresse de décrire aux journalistes l’enthousiasme avec lequel les
Français, et particulièrement les jeunes, se sont emparés du baseball.
[vii] L’Humanité, 20 février 1914, p. 5.
[viii] « Giants And White Sox
To Tour World », in The New York Times, 12 février 1913 ; « Sox And
Giants On World’s Tour », in The New York Times, 27 juillet 1913.
[ix] Ce navire sera coulé le 7 mai 1915 par un sous-marin allemand. Cet événement
contribuera à l’entrée en guerre des Etats-Unis.
[x] Selon James A. Hart, ancien président des Chicago Cubs, cf. « Giants And White Sox Will Be Warmly
Welcomed On Tour Of The World », in The Deseret News, 13 juin 1913.
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